L’Union Plasturgie Bâtiment, qui regroupe 11 syndicats nationaux ou organisations professionnelles représentant des fabricants de produits en matière plastique destinés au secteur du BTP, vient de publier une Lettre ouverte au ministre de l’Économie, des finances et de la relance intitulée “Double peine pour les transformateurs de matières plastiques
dans le BTP”.
Dans cette missive, ils affirment que « les transformateurs de certaines matières plastiques se trouvent actuellement confrontés à une pénurie des matières premières, les mettant dans l’incapacité de pouvoir honorer leurs commandes ».
Des entreprises qui, se relevant de la crise sanitaire, craignent aujourd’hui « d’entrer dans une autre “crise” dont les conséquences pourraient, pour certains, être bien plus graves. Les transformateurs sont pris dans un étau entre les délais allongés d’approvisionnement de leurs fournisseurs de matières, les commandes à livrer aux clients et le juste équilibre économique à trouver. Que ce soit pour honorer les livraisons prévues sur le long terme par appels d’offres et celles liées à la reprise des chantiers de construction et de travaux publics, les trans-formateurs de certaines matières plastiques à destination du BTP subissent une “double peine” : d’une part, les très fortes tensions sur les approvisionnements de matières premières les exposent à de fortes incertitudes sur les capacités de production, voire des risques d’arrêt et d’autre part, la forte et subite inflation sur les cours de certaines matières plastiques déséquilibre les échanges », s’inquiètent-ils.
Elisabeth Charrier répond aux questions de Verre & Protections Mag
De quelle “double peine” les signataires de cette lettre ouverte estiment-ils être frappés ?
Elisabeth Charrier : « L’économie a été à l’arrêt pendant le confine- ment de mars 2020, les entreprises doivent redresser la situation pour faire face à une crise qui dure. Et paradoxalement, dans une période où le plan de relance devrait être une opportunité pour tous, la situation de pénurie vient entraver la perspective de bonne reprise. D’un côté, les transformateurs et compoundeurs subissent les effets de la pénurie de certains composants des matières plastiques qui engendre des délais, des reports voire des annulations de livraison avec le risque de la mise à l’arrêt de la production. D’un autre côté, les clients menacent voire appliquent des pénalités pour retard de livraison des commandes. La peine est même triple car toute situation de demande plus forte que l’offre engendre une inflation des cours des matières ».
D’où vient cette pénurie ?
« La pénurie provient d’une conjugaison de multiples facteurs qui se succèdent ou sont concomitants : la crise sanitaire et le
confinement du printemps 2020 ont perturbé les plannings de maintenance des producteurs de résines, qui ont effectivement beaucoup déstocké. La demande est très soutenue depuis juillet 2020 et atteint même des niveaux records sur février/mars. De nombreuses installations connaissent donc des pannes. Il y a de surcroît des perturbations liées au climat : deux ouragans en septembre et maintenant la vague de froid qui a frappé le Texas et la Louisiane ont mis à mal les capacités de production américaines, indispensables à l’équilibre mondial entre l’offre et la demande. Même en France, les approvisionnements des producteurs de l’est de la France ont été perturbés par des niveaux d’eau trop hauts sur le Rhône qui empêchaient la circulation des barges. Le Brexit a également perturbé les flux logistiques entre l’UE et le RU. Enfin, il y a une pénurie de conteneurs maritimes sur les approvisionnements du sud-est asiatique qui entraîne une forte hausse des coûts de transport pour toutes les matières premières produites (quasi exclusivement) dans cette région : stabilisants, lubrifiants, certains pigments... ».
Est-ce que les extrudeurs de profilés PVC pour la menuiserie sont concernés par cette pénurie de matières premières ?
« Oui, ce sont plus particulièrement les thermoplastiques qui sont concernés par cette situation de pénurie dont le PVC... ».
Des premiers effets se sont-ils déjà fait sentir dans les livraisons ou pour de futures livraisons vers leurs clients menuisiers ?
« Aujourd’hui, l’heure est à la réorganisation des carnets de commandes, prioriser les livraisons, recomposer les recettes, négocier avec les clients, cette situation est accompagnée d’une grande incertitude ».
Pensez-vous qu’à terme une augmentation des prix des profilés est inévitable si cette pénurie de matières premières PVC perdure ?
« La hausse des prix des profilés est inévitable car les hausses affectent non seulement le PVC, mais l’ensemble des matières thermoplastiques, ainsi que les autres ingrédients des formulations : modifiant choc, stabilisant, l’effet conjugué de toutes ces hausses est sans précédent depuis la crise de 2008 et il n’y a pas d’amélioration attendue avant au moins la fin du 1er semestre... Les prix des métaux se sont aussi envolés et leur disponibilité est également compliquée... ».
Des cas de force majeure ont été déclarés cet automne par différents producteurs européens de PVC, cela vous inquiète-t-il ?
« On repense forcément aux épisodes des années précédentes, 2015 n’est pas si loin et encore dans les esprits, alors oui, la crainte d’une situation de pénurie aggravée est là. Surtout, l’absence d’information claire rend les marchés nerveux ».
Des voix s’élèvent également sur le fait que des producteurs de PVC orienteraient leurs exportations hors Europe, notamment vers la Turquie (qui achèterait le PVC plus cher que les Européens), ayant pour conséquence une réduction de l’offre du PVC en Europe. Qu’elle est la position du SNEP sur ce point ?
« Toutes ces spéculations ne résolvent pas les problèmes de nos adhérents. Ils ne cherchent pas à savoir d’où cela vient mais ce qui va se passer. Le plus important est de ne pas arrêter une campagne d’extrusion, car c’est long et coûteux à redémarrer. Mais reconnaissons que les rapports de force sont déséquilibrés à l’échelle de l’Europe. Les producteurs honorent leurs engagements contractuels dans la mesure de leurs capacités actuelles mais les volumes supplémentaires subissent la loi de l’offre et de la demande et il y a effectivement de grosses disparités dans les prix de marché d’un pays à l’autre ou d’une zone géographique à une autre. Rappelons aussi que l’UE taxe les résines PVC américaines en représailles aux taxes américaines sur l’aéronautique européenne ».
En alertant Bruno Le Maire, qu’attendez-vous des pouvoirs publics pour vous aider face à cette situation, que demandez- vous concrètement au ministre ?
« Que les pouvoirs publics nationaux jouent le rôle de médiation. En demandant aux producteurs de donner de la visibilité sur leur situation, en toute transparence. En demandant aux clients d’être solidaires et de ne pas appliquer des pénalités si un chantier n’est pas livré à temps. Ceci pour permettre à chaque acteur de la chaîne de temporiser, de s’adapter à la situation et de lever l’incertitude. La pénurie des plastiques touche tous les marchés finaux : construction, génie civil, emballage mais aussi la santé et le matériel médical. Alors, en même temps, le message à mon- sieur Le Maire et au gouvernement est que nous commençons à payer le prix des campagnes de “plastique bashing” menées toutes ces dernières années... ».
Propos recueillis par Frédéric Taddeï