S’entretenir avec André Liébot, ancien PDG du groupe Liébot, et Bruno Léger, directeur général du groupe, tous deux past-présidents du SNFA, est une occasion qui ne se manque pas ! Lisez attentivement leurs propos, ils sont le contraire d’une nostalgie de circonstance pour deux dirigeants qui reviennent sur leurs parcours tant respectifs que communs.
Ils témoignent, chacun à sa façon, combien la profession de fabricant de menuiseries et de fermetures peut être riche, inventive, innovante, surprenante aussi, encourageante à bien des égards et pour résumer : attachante, c’est une certitude.
Verre & Protections Mag : Si vous deviez choisir un seul exemple de votre collaboration l’un avec l’autre, que retiendrez-vous ?
André Liébot : « C’est une bonne question mais la réponse est difficile tant il y a d’exemples à citer. Je retiens donc un seul exemple qui, au fond, est assez emblématique de notre mode de fonctionnement et de la façon dont on agit dans le groupe Liébot : c’est lorsque nous avons pris la décision d’investir dans notre nouvelle unité de fenêtres industrielles près de Lyon. 80 millions d’euros d’investissements décidés en quelques jours. Cela montre que dans ce qu’on appelle “nos boîtes familiales”, cette connivence, cette confiance doit être totale au plus haut niveau pour justement se montrer plus réactifs que les grosses structures, les grands groupes où la décision nécessite parfois un plan de plusieurs années, là où des ETI familiales comme la nôtre se montrent plus agiles, plus réactives et finalement vont plus vite à l’essentiel. La confiance réciproque entre Bruno et moi est un exemple parfait de cette façon de fonctionner. Enfin, sachant que l’on ne prend véritablement que quatre ou cinq décisions super stratégiques dans sa vie professionnelle, je dois dire qu’avoir embauché et travaillé avec Bruno pendant 21 ans fut l’une de celles-ci ».
Bruno Léger : « Ma réponse est assez proche. André parle de connivence. Mais d’où vient-elle ? Certainement d’une vision commune. Durant notre parcours, cette vision commune nous a toujours animés. Nous ne sommes pas forcément semblables sur le plan de la personnalité, mais nous avons cette vision commune. Tous les lundis, en quelques instants, nous étions d’accord sur tous les grands sujets. Cette confiance et connivence ont donc été totalement centrales dans le succès du groupe pendant vingt ans. La clarté de nos propos et notre cohésion ont certainement développé une véritable confiance au sein du groupe et auprès des collaborateurs. C’est à mes yeux, le point le plus important que je retiens. C’est une des principales, si ce n’est la principale raison du succès de ce groupe. Ce n’est pas un détail ».
Forts de cette confiance et de cette connivence que vous revendiquez chacun, quels sont les “chantiers” dont vous êtes, l’un et l’autre, le plus fier ?
André Liébot : « Je pourrais être fier de chaque projet que nous avons mené à bien. Je vais donc vous en citer un, le plus ancien : le 2 janvier 1993, j’ai réuni mon petit groupe de collaborateurs, de responsables, un “codir” comme on dirait aujourd’hui, avec Jean-Pierre Pinard, mon fidèle bras droit et bras gauche de l’époque. Et je dis : “Si on n’agit pas, l’aluminium est un matériau qui sera très vite remplacé sur le marché par le PVC. Donc, si nous voulons demeurer sur le marché, il faut trouver une fenêtre qui soit toujours fabriquée en aluminium, mais d’une façon différente, offrir une alternative plus qualitative et moins chère”. La première fenêtre qui a été imaginée à la suite de ce postulat a été présentée à Batimat-Equipbaie 1994 ; j’ai décidé de la fabriquer et de la commercialiser en 1995. Cependant, nous n’avions pas l’usine pour la produire industriellement ; une des conditions principales pour abaisser son prix de fabrication. Nous avons donc commencé à la commercialiser au prix auquel nous pouvions prétendre à terme avec l’usine adéquate… Nous avons donc perdu de l’argent pendant un an mais je voulais voir si “le concept de demain” pouvait marcher… Quand j’ai vu que ça fonctionnait, j’ai pris la décision de construire notre nouvelle usine. Elle a été inaugurée début 1998. Je suis très fier de ça ».
Bruno Léger : « Moi, j’arrive en 2003 comme directeur général pour développer K•Line qui, à l’époque, réalisait 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. Pour vous donner une idée, en 2023 nous étions à 500 millions. Nous avons donc multiplié notre chiffre d’affaires par dix, en vingt ans. Comment a-t-on fait ? avec “le rêve de l’alu pour tous”. C’est-à-dire cette fenêtre alu, que l’on va mettre partout en France, quels que soient le budget et le marché visé : la maison individuelle, le logement collectif et maintenant le tertiaire. Je pense qu’à travers cette fenêtre, on a créé un nouveau standard. Je n’hésite pas à dire que ça a transformé le marché français de la fenêtre et ça l’a rendu beaucoup plus fort vis-à-vis de l’importation. Cette fenêtre est une vraie fierté pour moi pour plusieurs raisons. Elle a contribué au succès de l’entreprise ainsi qu’à celui de la profession d’un point de vue plus globale. Je pense que ce genre d’innovation de rupture majeure qui crée un nouveau standard n’est pas neutre dans le fait d’émuler, d’entraîner, d’inspirer une profession dans son ensemble. En résumé, le “chantier” dont je suis le plus fier est d’avoir contribué à tracer notre sillon avec un projet, un cap et une équipe qui ont fait preuve de stabilité dans le temps. Cette belle histoire s’est construite en vingt ans… ».
Il faut du collectif sur la durée, sur le temps long, pour bâtir des projets.
Côté SNFA, les “chantiers” dont vous êtes le plus fier ?
André Liébot : « En arrivant à la présidence du SNFA, alors en pleine recherche d’identité par rapport à la FFB, je me suis dit “je vais remettre l’église au milieu du village”. Le SNFA est un syndicat d’entrepreneurs, ce sont donc les entrepreneurs qui vont y reprendre le pouvoir. Après avoir été élu sur ce programme, j’ai embauché Jean-Luc Marchand, un ancien entrepreneur qui correspondait tout à fait au délégué général tel que je l’imaginais. J’ai ouvert ce syndicat en créant de nouvelles sections afin d’avoir une amplitude plus grande. Aujourd’hui, je suis fier de voir que le SNFA est un syndicat “qui tient la route” avec un grand nombre de professionnels issus de plusieurs métiers dont le point de ralliement est l’aluminium. Et fier aussi de la continuité du Pôle Fenêtre FFB, dont j’ai été l’instigateur ».
Bruno Léger : « Je l’ai dit dans mon discours à Paris lorsque j’ai passé le relais à Dominique Thomasson. J’ai rappelé que c’est bien André qui avait organisé le syndicat comme il était. Il n’y avait pas besoin de changer ça. Me concernant, j’ai consacré mes actions à renforcer ce projet collectif. Je tiens à souligner que la solidité de notre esprit collectif s’est vraiment exprimée lors de la période Covid. Chaque semaine, toutes les sections se réunissaient. Autre point important à mes yeux, c’est la réaction du SNFA lors de la création de Valobat, au moment de la mise en place de la REP. Comment allions-nous évoluer au milieu de tout ça ? La création des éco-organismes auxquels ont contribué le SNFA et l’UFME est un exemple parfait de notre capacité collective à prendre notre destin en main. D’autres exemples concrets découlent de ce travail collectif à l’exemple du tarif unique pour la fenêtre, quel que soit le poids, le matériau, la dimension. Il en est de même pour la réflexion sur l’éco-modulation obligatoire ».
Parlons un peu d’avenir. Selon vous, quels sont aujourd’hui les axes qui risquent de profondément modifier la conception, la fabrication, la commercialisation et la pose des menuiseries que vous fabriquez ?
Bruno Léger : « Dans ma vision personnelle à long terme, il est clair que nous, habitants de ce pays, nous devrons vivre dans notre habitat, maison ou appartement, différemment, pour être capables de supporter le changement climatique et le réchauffement. Pour cela, nous allons devoir inventer de nouveaux modes de vie et la fenêtre doit bien évidemment participer à ces évolutions. Nous avons été précurseurs en la matière ! Je vous cite un exemple : notre système AirFlow au sein de K•Line Smart Home qui permet de piloter les fenêtres, les volets roulants et les BSO. Vivre dans des maisons, quand il fera 40° plusieurs semaines de suite, évidemment sans climatisation, sera difficile. ça l’est déjà. Il va falloir trouver des modes d’ouverture, de fermeture, de night-cooling, d’automatisation adaptés à cette situation. Donc, à mon avis, cela va être évidemment une grosse révolution. Des solutions ont été lancées, mais pour l’instant, les Français n’ont pas encore véritablement intégré cette urgence dans leurs priorités ».
Est-ce que votre démarche “Planet” pourrait faire justement partie de ces avancées qui vont également changer la manière à la fois de concevoir et produire des menuiseries mais aussi d’imaginer leur rôle dans l’univers du bâti ?
Bruno Léger : « Évidemment, c’est totalement central. D’abord, la décarbonation, à travers notre projet Coralium de fabrication d’aluminium bas-carbone, à partir de chutes de menuiseries en fin de vie. Je rappelle que la grande particularité de Coralium, qui est unique en France, c’est d’avoir sur le même site, le tri et la fonderie. Nous allons donc concevoir des produits à partir des déchets que nous allons trier à l’entrée de l’usine. Vu ce que je sais des projets en cours, ça restera pour longtemps encore un modèle avant-gardiste. Il y a un autre point absolument majeur à mes yeux : l’éco-conception. Le meilleur exemple est notre nouvelle offre de portes que nous avons présentée à Batimat et qui est à mes yeux une “révolution totale”. Nos équipes sont quasiment parties d’une feuille blanche pour proposer au marché une porte en aluminium, mais qui est en fait complètement multimatériaux, avec une tôle acier intérieure, un cadre polymère, une tôle extérieure en alu, nous permettant de proposer à l’extérieur tous les décors que permet la tôle d’aluminium. Le tout, en baissant le prix de revient et surtout le poids carbone ».
Sur le plan conjoncturel, vos longues carrières respectives vous ont logiquement amené à devoir gérer des crises. Est-ce que celle qui touche actuellement le logement et la construction ressemble à celles du passé ? Quelles sont vos recettes pour que nos professions sortent au plus vite de cette crise actuelle ?
Bruno Léger : « Il y a actuellement dans la période difficile que nous traversons dans la construction des aspects structurels. La maison neuve est un modèle qui n’est pas, semble-t-il, promis à un fort développement. Ça, c’est structurel. Après, il va bien falloir loger les Français et ce qui manque dans ce pays, et ce qui devient dramatique, c’est une vraie politique de logement forte et pérenne. Il y a de plus en plus de gens extrêmement malheureux, parce qu’ils n’arrivent pas à se loger, des couples qui veulent divorcer et qui n’arrivent pas à se séparer, des enfants qui n’arrivent pas à partir de chez eux à l’âge adulte, d’innombrables situations qui créent des drames dans d’innombrables familles en France, parce qu’on n’arrive pas à se loger. Donc ce qu’il faut pour sortir de la crise, c’est d’avoir une politique du logement en France. Je rappelle qu’au cours des trois dernières présidentielles, chaque président a dit à son tour avant d’être élu ou réélu qu’il fallait construire 500 000 logements par an. Jamais on ne les a faits et cette année nous n’avons jamais fait si peu ».
André Liébot : « Je voudrais rajouter un point. Dans ce domaine comme dans bien d’autres dans notre pays, il faut arrêter de changer les règles aussi fréquemment. Est-ce que vous imagineriez qu’on change les règles du rugby pendant un match ? Nous avons besoin de stabilité ».
Nous allons devoir inventer de nouveaux modes de vie et la fenêtre doit bien évidemment participer à ces évolutions.
En conclusion de cet entretien, quels conseils et quels messages auriez-vous envie de donner et passer à Jean-Pierre Liébot et Patrice Bondy ainsi qu’à Dominique Thomasson ?
Bruno Léger : « Ce que j’ai envie de leur dire est simple : nous vivons dans un monde de crise, dans un monde d’immédiateté. Les crises, qu’elles soient sanitaires, économiques, environnementales, politiques, diplomatiques sont des dangers permanents pour l’économie et nos métiers. Face à ces crises, apparaissent des révolutions, comme celle de l’IA qui est une révolution phénoménale et qui n’en est qu’à ses balbutiements. Face à tout cela, le conseil que j’ai envie de donner aux dirigeants du groupe Liébot d’aujourd’hui et de demain, c’est d’appliquer, malgré tout, la même recette du temps long. C’est-à-dire de bâtir un projet avec l’équipe, tout en étant réactif. C’est ce que nous avons fait avant eux. Dans un monde qui devient vraiment de plus en plus compliqué, c’est une évidence. Nous avons dû être agiles et réactifs face à des évènements tels que le Covid et les crises post-Covid sur les approvisionnements, les prix, et plus récemment la guerre en Ukraine, au Moyen- Orient, etc. Comme je l’ai déclaré au SNFA, nous sommes devenus des gestionnaires de “multicrises”. De nos jours, nous devons faire face à quatre ou cinq crises, alors qu’avant, on n’en gérait qu’une seule. Dans ce monde tel qu’il est devenu aujourd’hui, il faut parvenir à garder un projet, jouer collectif, et emmener, mobiliser les équipes dans ce projet. Je lutte contre cette génération du zapping. Il faut du collectif sur la durée, sur le temps long, pour bâtir des projets. Dans nos métiers, comme dans d’autres métiers, on essaie de raccourcir ce temps, mais je considère qu’il est nécessaire de garder le sens du temps long dans ce monde tel qu’il est devenu aujourd’hui. Le conseil que je leur donnerais, c’est : “Bâtissez votre projet avec les équipes, emmenez tout le monde, tracez la route, et gardez le cap avec ténacité” ».
André Liébot : « Je partage tout ce que Bruno vient de dire, tant il est vrai que pour savoir ce qu’on va faire, il faut connaître le passé. Connaissant ce qui s’est passé et le présent, on a donc une petite idée du futur. Dans les recommandations, je suis convaincu qu’il faut une vision sur l’avenir adossée au temps long, parce que dans nos entreprises familiales, on peut le faire. Deuxièmement, on a évoqué au début de cet entretien les notions de confiance, de connivence entre la présidence et le directeur général, et les directeurs généraux d’une façon générale. Il ne peut en être autrement et il faut qu’elle dure. Troisièmement, il faut que cette connivence s’infuse autour de toutes les équipes. Et enfin, là, c’est plus personnel : j’ai mis un point d’honneur quand j’ai reçu le témoin, à 26 ans, d’une petite entreprise de 26 personnes, et dont j’étais la neuvième génération, de transmettre à la dixième, une société qui tienne la route, et qui soit dans son marché, dans son métier. Je souhaite désormais, que mon fils, son frère et ses sœurs, sachent faire la même chose pour la onzième génération. Quand il y a une volonté, il y a un chemin… ».
Propos recueillis par Frédéric Taddeï