Le 13 janvier dernier, Riou Glass s’est porté acquéreur de l’usine fougeraise AIV, qui avait fait l’objet d’une première reprise en 1998 par le leader belgo-japonais du secteur AGC. AIV repasse donc sous pavillon français.
Renforcer sa présence sur le Grand-Ouest
Créée en 1964, cette usine de 11 000 m2 est spécialisée dans la production de verres trempés, émaillés et sérigraphiés ainsi que de façonnage de précision, pour les secteurs du bâtiment et du para-automobile (ferroviaire, engins agricoles, etc.). Elle réalise un chiffre d’affaires de 11 millions d’euros.
Cette acquisition doit permettre au groupe Riou Glass de renforcer sa présence sur le territoire du Grand-Ouest, où l’entreprise possède déjà cinq sites de transformation : VIB à Loudéac (22), VIC à Agneaux (50), VICA à Lanvollon (22), VIV aux Herbiers (85) et VIO à Parné-sur-Roc (53).
Pénétrer de nouveaux marchés
Autre objectif visé, pénétrer de nouveaux marchés. « Historiquement, Riou Glass est présent sur les marchés de la menuiserie et de la façade. Grâce à cette acquisition, nous allons pouvoir pénétrer les secteurs de la cloison intérieure et du para-automobile, puisqu’AIV y réalise 45 % de son chiffre d’affaires » explique Christophe Nicoli, directeur général du groupe. À terme, Riou Glass envisage de spécialiser ce site à ces marchés bien spécifiques.
Le plan anti-crise de deux millions d’euros investi en 2013 par AGC n’aura ainsi pas empêché la cession de l’usine AIV. « Je suis très fier et ravi de reprendre cette très belle entreprise. Malgré des difficultés financières importantes ces dernières années, AIV demeure un fleuron de la transformation du verre. Les équipes de Riou Glass sont heureuses de se mettre au travail avec leurs nouveaux collègues d’AIV pour le développement de l’entreprise et pour la pérennité de nos savoir-faire et de nos emplois en France » conclut Pierre Riou, président-fondateur du groupe Riou Glass.
INTERVIEW EXCLUSIVE DE CHRISTOPHE NICOLI
« Nous offrons au marché un vrai catalogue de “major” sans équivalent en France »
Cette nouvelle opération de croissance externe, qui fait suite à de nombreuses reprises d’entreprises françaises de transformation du verre plat, confirme que le groupe normand, présidé par son fondateur Pierre Riou et dont la direction générale a été confiée en septembre dernier à Christophe Nicoli (lire Verre & Protections n°94, page 13), entend bien devenir un acteur majeur en France et, pourquoi pas, à l’étranger.
Nous avons profité de cette nouvelle actualité de croissance externe pour interviewer Christophe Nicoli et, au delà de ses premiers ressentis depuis sa nomination, explorer avec lui la stratégie qu’il compte appliquer au groupe Riou Glass.
Verre & Protections : Vous avez pris vos fonctions de directeur général en septembre dernier. Vous venez de réaliser votre première opération de croissance externe. Quels sont vos premiers ressentis à la direction générale de Riou Glass ?
Christophe Nicoli : « Je connaissais Riou Glass en tant que membre du conseil de surveillance, depuis 2012. Mes premiers mois en tant que directeur général m’ont confirmé que, avec plus 1000 collaborateurs et 15 sites présents sur les deux-tiers du territoire français, l’entreprise avait désormais atteint une bonne taille critique. Riou Glass est en effet devenu une “ETI” de dimension idéale pour se développer et pérenniser son activité. N’oublions pas qu’en France, ce sont essentiellement des entreprises de cette taille qui depuis ces dernières années créent des emplois et ce, d’une manière bien plus importante que les grands groupes. Tout simplement parce qu’elles ont à la fois la souplesse pour “aller vite au marché”, et les capacités d’investir sans attendre. Pour répondre à votre question sur mon ressenti, je retrouve chez Riou Glass, ce que l’on observe en Allemagne avec ce formidable tissu d’entreprises familiales où les décisions sont prises rapidement, sans lourdeurs et où la prise de risque n’en est que facilitée ».
C’est important l’aspect familial d’une entreprise comme Riou Glass ?
« C’est essentiel, surtout lorsqu’elle est épaulée par une personnalité comme Pierre Riou, fondateur et aujourd’hui président de l’entreprise. Il possède trois qualités essentielles : le sens de l’innovation utile pour le client, un niveau d’énergie qui mobilise les autres et la persévérance. À ces qualités humaines (que l’on retrouve dans les valeurs de l’ensemble de la famille Riou), s’ajoutent une situation financière saine, un contrôle familial accompagné d’un actionnaire de référence solide (BPI, ndr). Autant d’atouts qui nous ont permis d’absorber, par exemple, les lourds investissements réalisés, en amont de notre activité, dans Eurofloat à Salaise ».
Au sujet de cet investissement à hauteur de 50 % dans ce float en joint-venture avec Saint-Gobain en 2012, quel bilan tirez-vous de cette participation et de votre entrée dans une industrie que l’on peut qualifier de “lourde” comparée à celle de la transformation du verre ?
« Lorsque Riou Glass a investi dans Eurofloat, nous savions que le float allait stopper ses activités en 2016 pour une rénovation programmée du four. Ceci était intégré dans le « business plan » mais a évidemment pesé sur la rentabilité de 2016, l’usine ayant été arrêtée 4 mois. Ce “rétrofit” s’est bien passé, même si le redémarrage a été un peu plus long que prévu. Eurofloat est désormais l’un des meilleurs float d’Europe de l’Ouest, idéalement placé sur son marché. Le four a vu sa capacité de production augmenter de plus de 20 % et ses coûts variables réduits considérablement. C’est un investissement important pour nous. Il sécurise les approvisionnements en verre brut des sites Riou Glass à un moment où des tensions pourraient apparaître sur leur disponibilité. Sur la proposition de Riou Glass, Eurofloat va également procéder à une extension de l’usine, essentiellement d’ordre logistique, qui va permettre d’améliorer le service vers sites de transformation et également de “dégoulotter” la production y compris celle de la ligne de feuilleté ».
Revenons à l’offre de Riou Glass, de l’extérieur elle donne l’impression d’une agrégation de différents produits de niche à valeur ajoutée, est-ce la réalité ?
« Nous avons effectivement identifié, dans notre offre, 12 familles de ce que j’appelle les “produits spéciaux” comme les vitrages à store intégré, les produits feu, le vitrage chauffant ou encore le VEC, pour lesquelles nous sommes en train de mettre en place une nouvelle organisation commerciale et logistique. L’objectif est que ces produits à valeur ajoutée soient activement prescrits et qu’ils soient disponibles pour l’ensemble de nos clients dans les meilleures conditions de qualité et de service possible ».
Concrètement, comment allez-vous procéder ?
« Nous allons former les bons profils ou les recruter. Nous allons créer, pour chaque famille de produits, un poste de “product manager” qui exercera une mission pour l’ensemble du groupe. À charge pour eux de définir des cibles nationales et de s’assurer, dans chaque unité de production, de la bonne mise à disposition des informations et des outils relatifs aux produits dont ils seront en charge. Tout cela devra être mis en place avant l’été prochain ».
Ces apports d’entreprises, au gré des opportunités d’acquisitions, n’ont-ils pas façonné un groupe aux composantes industrielles déséquilibrées ? Est-ce pour vous un inconvénient ou un atout ?
« Nos points faibles sont autant d’opportunités d’amélioration ! Si votre question est “est-ce que tous nos sites sont au même niveau d’excellence opérationnelle souhaitée ?”, ma réponse est “non”. Si votre question est “est-ce que vous allez mettre les bouchées doubles pour pallier à ces disparités ?”, ma réponse est “oui”. Et j’ajouterais que c’est justement le moment ».
Pourquoi est-ce précisément le moment ?
« Il faut être clair : les marges sont, depuis deux ans, fortement comprimées par le différentiel d’augmentation des prix du verre brut (environ + 49% pour le verre monolithique, + 23% pour le verre feuilleté !) et des prix du verre transformé qui, en France, n’augmentent pas aussi vite que dans les autres pays européens. Quand les marges se compriment, il arrive souvent que les entreprises “fassent ce qu’elles peuvent” en réduisant drastiquement leurs coûts au détriment de la qualité et du service. Je pense au contraire que face à cette situation Riou Glass doit “donner” davantage à ses clients. Ceux-ci doivent certes comprendre que face à une telle envolée des coûts de notre matière première nous devons ajuster nos tarifs mais je sais qu’ils n’accepteront ces hausses de prix que si, sur la durée, ils peuvent observer une amélioration régulière de la valeur qui leur est donnée : qualité de service, ample gamme de produits de qualité, réactivité. C’est tout le sens de notre stratégie de service et de l’accélération de notre effort d’innovation ».
La diversité de votre catalogue est-elle un atout pour faire face à cette situation complexe du marché français du verre plat ?
« C’est effectivement une de nos forces. Nous offrons au marché un vrai catalogue de “major” sans aucun équivalent en France chez les entreprises indépendantes des grands groupes verriers ».
La stratégie d’innovation est-elle amenée à se poursuivre ? Passe-t-elle aussi par de nouvelles acquisitions ?
« Pour moi, l’innovation, c’est un effort continu de développement tant sur le plan technologique que commercial et logistique. La croissance externe n’est pas une stratégie en soi, même si nous continuerons à étudier des opportunités. Dans ce cas, comme pour la reprise d’AIV, nous privilégierons plutôt des opérations qui maillent à la fois nos savoir-faire et nos territoires. Nous nous efforcerons de repérer des “pépites” qui apporteront de la valeur ajoutée de notre catalogue.
"Nous allons créer, pour chaque famille de produits, un poste de “product manager”"
Dans le cas d’AIV, par exemple, il y a dans cette entreprise des technologies et un savoir-faire de sérigraphie ou de façonnage pour le verre automobile, qui pourront être fort bien mis au service de nos produits pour le bâtiment. D’autre part, nous souhaitons établir un certain nombre de partenariats de développement avec des acteurs majeurs de leurs domaines. Il est prématuré de vous les citer, mais ce pourrait être par exemple des partenariats dans les domaines des systèmes de façade ou dans la connectique. Le but est de “capturer” la croissance d’un marché que j’estime à 6 % - 8 % sur les deux prochaines années. Il ne s’agit donc pas de “prendre du volume pour prendre du volume” mais de pouvoir mieux servir nos clients grâce notamment à nos efforts en matière d’innovation et de “lean management” ».
On dit que vous avez aussi pour projet de déménager le siège social de l’entreprise. Où allez-vous l’implanter et pourquoi cette initiative ?
« C’est exact, nous envisageons de transférer le siège de Riou Glass vers un autre bâtiment, où nous allons bénéficier d’un vrai “outil” situé au cœur d’un bassin d’emploi dynamique. Notre souhait est de collaborer de manière plus étroite avec des start-up, capter l’énergie de jeunes ingénieurs, nous doper d’idées nouvelles, le tout dans un bâtiment moderne avec un grand espace collaboratif et, qui plus est, doté d’un show-room qui nous permettra de présenter et mettre en valeur nos produits et notre savoir-faire ».
Est-ce que cette ouverture vers de nouveaux modes de pensée, de nouvelles méthodes marketing, préfigure une volonté de sortir de “vos bases” et diversifier votre activité vers des produits “hors bâtiment” ?
« Mais c’est déjà le cas avec notamment AIV dont 40 % de la production est déjà dédiée au para-auto : matériel roulant, ferroviaire, engins roulants industriels, agricoles, etc. et qui apporte à Riou Glass une certaine maîtrise de technologies de façonnage et de trempe liées à ces produits assez particuliers. C’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles nous avons acquis AIV. Est-ce que ça veut dire que nous comptons devenir un acteur significatif dans le domaine du verre hors bâtiment ? Cela ne se fera que si c’est rentable pour Riou Glass et surtout que si l’entreprise y trouve de réelles synergies avec ses métiers de base ».
À propos d’AIV, allez-vous procéder à des investissements suite au rachat ?
« Oui, notre business plan prévoit de deux à trois millions d’euros d’investissements à Fougères sur deux ou trois ans qui passeront par une extension du bâtiment qui accueillera de nouvelles activités qui compléteront les activités existantes ».
Dernière question. Ne vous manque-t-il pas désormais une dimension européenne ? Avez-vous, à ce sujet, des projets de croissance hors des frontières ?
« Nous explorons certaines pistes, effectivement. Mais, tout comme nos opérations de croissance externe en France, notre développement à l’étranger s’effectuera systématiquement en mode “synergétique” avec notre tissu industriel français ».
Propos recueillis par Frédéric Taddeï