Je n’étais pas à Stains, en ce dernier jour de juin, quand des émeutiers sont entrés dans la menuiserie Prodesign, implantée en banlieue parisienne, pour y mettre le feu. Un saccage et une destruction comme il y en a eu des centaines durant les émeutes qui ont touché grandes et petites villes ces nuits-là. Mais, si j’avais pu croiser ces jeunes casseurs, le 29 juin, dernier avant leur passage à l’acte, j’aurais eu envie de les convaincre en évoquant avec eux les notions de dignité, de respect et, à cette occasion, leur parler de la menuiserie qu’ils s’apprêtaient à saccager et à brûler. Cette menuiserie travaille et transforme le bois depuis 30 ans, elle possède un savoir-faire, une expertise et surtout un “amour du travail bien fait”. Cet “amour” qui caractérise les entreprises de menuiseries qui, dans le bois, conçoivent des fenêtres mais aussi des portes, des parquets, des agencements. Et moi, je suis certain que dans l’entreprise que ces jeunes ont finalement détruite, certains y avaient malgré tout leur place. Pourquoi leur dire cela ? Pour leur rappeler que depuis 30 ans, cette menuiserie propose à celles et ceux qui y travaillent un métier noble, l’apprentissage d’un savoir-faire, tout simplement la possibilité de posséder de l’or dans ses mains. Car oui, aujourd’hui transformer une pièce de bois et mettre ses compétences en œuvre avec un centre d’usinage, une plaqueuse de chants, une scie, une raboteuse, une calibreuse, etc., c’est avoir de l’or dans ses mains. Exactement comme d’autres ont de l’or dans leurs pieds quand ils effacent trois défenseurs dans la surface de réparation et enrhument le goal ! Pourquoi ce parallèle entre un footballeur et un menuisier ? Parce que posséder un métier, comme maîtriser un sport, c’est non seulement gagner sa vie, mais c’est plus que ça : c’est faire quelque chose de sa vie. Dans la menuiserie que ces jeunes ont finalement réduite en cendres et gravas, travaillent des compagnons, des apprentis qui, jour après jour, année après année, ont appris de leurs aînés, un tour de main, un savoir-faire, des techniques qu’eux-seuls maîtrisent et qu’ils transmettront à leur tour plus tard. Moi, personnellement, je suis admiratif de ça et même un peu envieux.
Quand on sait fabriquer une fenêtre, on est quelqu’un aux yeux des autres
et quand on brûle une menuiserie, on n’est tout simplement rien, mais alors vraiment rien !
Pourquoi j’aurais ainsi tenté de faire comprendre cela à ces voyous ? Parce qu’au milieu des drames qui ont ponctué les journées d’émeutes, les observateurs, analystes, élus, responsables associatifs ont souvent utilisé les mots “respect” et “dignité”. Pour moi, le respect et la dignité sont justement les deux valeurs dont on hérite lorsque l’on a un métier que l’on aime, que l’on a choisi et que l’on est fier d’exercer. Quand on a appris et que l’on sait fabriquer une fenêtre, on est quelqu’un aux yeux des autres qui respectent ce savoir et ce travail, quand on sait fabriquer une porte, on est quelqu’un, quand on sait associer au bois d’autres matériaux tout aussi nobles que le verre, l’acier, l’aluminium ou le PVC, on est quelqu’un. Et, quand on brûle une menuiserie, eh bien, on n’est tout simplement… rien, mais alors vraiment rien ! Si, en fait on est… un moins que rien !
Si, au travers de cet éditorial, je me permets cette leçon de morale virtuelle, a posteriori, et surtout par procuration, à destination de toutes celles et ceux qui ont détruit, endommagé, pillé et incendié tant de lieux en France fin juin comme Prodesign, c’est parce que je suis persuadé que parmi ces pillards, beaucoup pourraient bien évidemment travailler dans cette menuiserie plutôt que la brûler ! Car c’est là que réside, à mes yeux, leur vraie place, pas dans la rue. Alors au boulot, car il y en a… et à tous points de vue !